Archives de Catégorie: Uncategorized

Recherche le peuple désespérement…


J’ai lu la semaine dernière cet essai écrit l’année dernière par Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin, Recherche le peuple désespérement, dans lequel les auteurs pointent du doigt le dramatique décrochage entre la gauche socialiste et le peuple, cette majorité silencieuse qui vit et souffre en-dehors des centres-villes.

Leur livre est précieux en ce qu’il éclaire sur une réalité souvent méconnue par les sphères socialistes. Tous les médias étant concentrés dans Paris intra-muros, la vision que nous avons de la France, au travers de ce prisme médiatique, est éminemment déformée : les bobos sont surreprésentés et les ouvriers et employés relégués en zones péri-urbaines sont tout simplement oubliés ! Parfois les rédactions de ces médias gentrifiés se permettent – ô folie ! – de traverser le périph’ pour aller voir ce qu’il se passe en banlieue ; parfois certains – surtout Jean-Pierre Pernault, d’ailleurs ! – vont voir ce qu’il se passe dans la « France profonde », la France rurale, la France des artisans, la France traditionnelle. Mais qui pour aller, hors période de crise majeure, sonder cette France reléguée dans les oubliettes médiatiques – cette France qui passe deux heures sur la route chaque jour pour aller travailler huit heures durant à l’usine, cette France qui souffre et qui n’a aucune perspective d’avenir, l’ascenseur social n’étant plus bloqué mais bien devenu « descendeur social ».

Alors oui, la gauche doit renouer avec ces classes populaires qui, à défaut d’être entendues, d’être considérées, sombrent dans le vote extrême ou l’abstentionnisme. Si 41% des ouvriers avaient voté Mitterrand au 1er tour de l’élection présidentielle de 1988, ils n’étaient plus que 11% à voter Jospin en 2002 ! La gauche doit se débarrasser de cette « prolophobie » où l’ouvrier est vu comme un beauf fini ! Les auteurs rappellent justement que les ouvriers et les employés représentent encore la même part de la population active qu’en 1954 – 60%. La grande différence est que, contrairement à la classe populaire des années 1950 qui vivait dans le mythe de classe moyenne, celle d’aujourd’hui a l’intime conviction – vérifiée dans les chiffres – que son avenir est vide d’espérance.

La ville a déplacé à sa périphérie ceux qui peuvent porter le conflit de classe et la pensée mainstream se veut a-conflictuelle : c’est l’exemple de l’européisme, cette volonté plutôt consensuelle de construire une Europe politique. En fait, les auteurs soulignent que les bobos des centres-villes, qui font véritablement la vie politique et médiatique française en ce qu’elle est une projection spatiale des villes-centres uniquement, ont horreur des questions sociales et leur préfèrent les questions sociétales, beaucoup moins violentes. A cet égard, une donnée intéressante : la carte du vote CPNT (Chasse, Pêche, Nature & Traditions) est tout à fait le négatif de la carte du vote Verts : c’est le clivage entre ruraux & urbains, entre pensée violente (les auteurs soulignent à plusieurs reprises la violence sociale des milieux ruraux et péri-urbains) et pensée écolo-bobo-progressiste.

Finalement, les auteurs affirment que les discriminations, en France, sont plus sociales et spatiales que raciales et que la gauche doit réinvestir les combats sociaux qu’elle a déserté pour plaire aux élites urbaines afin de retisser ses liens historiques avec le prolétariat – avec le peuple.

En à peine cent pages, ce bouquin remet les idées en place pour rappeler à chacun que la réalité sociale est toute autre que celle vue par le prisme des médias gentrifiés. Un peu court au niveau des propositions, il se borne à prôner un protectionnisme raisonnable pour faire face à une globalisation qui a systématiquement touché les zones déjà fragiles ; on peut d’ailleurs lire, dans la dernière convention votée par le Parti socialiste sur l’Europe et l’International, quelques propositions qui vont dans le sens de ce que défendent les auteurs, comme l’idée de taxes anti-dumping ou d’écluses tarifaires…